Le conte du cheval bleu

Le cheval Bleu,
Il était un temps, de ce temps dont j'ai déjà parlé, celui qui était là avant la mémoire et ce n'est pas si loin, ou peut être c'est un temps qui viendra, où tous les chevaux et ils étaient nombreux, en ce temps, tous les chevaux, dis-je , étaient bleus. Bien sûr, ce n'était pas toujours le même bleu, il allait du bleu clair des poulains, au bleu profond, ou turquoise des pouliches et même jusqu'à un bleu marine, très vif et irisé des grands étalons.
Les chevaux qui allaient en ce temps en grandes hardes dans les vastes étendues sauvages, formaient un déplacement de couleurs époustouflant, surtout si tu penses que leurs yeux, leur crinière et leurs queues déployaient toutes sortes de variantes de l'orange.
En ce temps, les humains étaient des voyageurs, ils étaient si habiles, qu'ils n'avaient besoin que de très peu d'outils ou de matériaux pour subvenir à leur existence, ce qui leur laissait beaucoup de temps pour chanter et pour rire et faire aussi beaucoup de choses très importantes.
Les humains de ce temps chantaient beaucoup, mais parlaient peu. Ils faisaient sans cesse de longues marches ou couraient pendant des heures sans fatigue. Ils avaient dans l'esprit de vastes paysages et connaissaient si bien leur pays, de l'arpenter en long et en large depuis des générations, qu'ils en savaient bien les dangers et avaient peu d'accidents.
C'était un temps ou les humains de cette région de la terre étaient peu nombreux et d'une certaine façon se connaissaient et se respectaient tous. Les enfants de ces gens étaient des rois. Ils allaient en liberté, vigoureux comme des animaux et riaient, chantaient et dansaient sans cesse. Ils inventaient sans cesse de nouveaux jeux et le reste du temps participaient à toutes les tâches de la vie quotidienne où très jeunes, ils excellaient.
Le peuple des chevaux et le peuple des humains ne s'étaient pas encore rencontrés. Certes, ils se croisaient souvent et se respectaient l'un l'autre, mais ils vivaient deux espaces différents.
Mais un jour, cet adolescent qu'on appelait "vu le grand cheval" était parti tôt le matin pour courir les grands espaces à la découverte. Tantôt marchant, tantôt courant, pénétré du chant des oiseaux, il se sentait profondément chez lui sur ce vaste territoire. Déjà il avait appris. On l'appelait "vu le grand cheval " à cause d'un rêve qu'il avait fait dans lequel lui était apparu le père des chevaux. C'était un grand étalon bleu, de ce bleu marine irisé dont j'ai déjà parlé, avec une longue crinière orange et qui pouvait courir comme le vent.
L'adolescent avait été très marqué par ce rêve dans lequel le grand cheval s'était approché de lui et avait posé son museau sur son front dans un geste d'amitié et lui avait dit: "Vous autres, nobles humains et nous, grands chevaux bleus, sommes frères. Nous avons quelque chose en commun. Nous avons un chemin à parcourir ensemble, quelque chose d'important à découvrir."
Il faut dire que les humains de ce temps étaient très différents de l'image que l'on s'en fait à présent. On prétend maintenant que leur vie était courte et un peu misérable, mais le cheval bleu m'a raconté qu'en fait, ils vivaient mille ans, car leur conscience du temps était très différente de la nôtre, un peu comme celle des enfants et une seule journée était pour eux l'équivalent d'un mois pour nous et ils allaient libres et puissants dans les grands territoires.
Les chevaux bleus, eux, animaux mystérieux, n'avaient pas encore été domestiqués, comme ils le sont maintenant, ils allaient eux aussi librement et n'avaient pas encore oublié les coutumes anciennes du peuple des chevaux. Car le savez vous, les chevaux bleus dans leur sommeil, alors qu'ils rêvent, étaient capables de courir dans les étoiles, de visiter les galaxies et ainsi, chacune de leurs postures, ou de la danse qu'ils décrivaient en groupe, était chargée de ce savoir profond.
Aussi, ce jour-là, "vu le grand cheval" était parti à la découverte et il était tout joyeux. Ayant parcouru un long chemin, de taillis, de forêt, de savane, il arrivait maintenant à la terre des chevaux. Pour lui, c'était comme un songe merveilleux, alors qu'il s'avançait tranquillement vers leur grand rassemblement, car cela lui rappelait son rêve.
Alors qu'il s'approchait, tout un groupe de poulains vint courir autour de lui et il passa un moment réjouissant à jouer avec eux. Puis après quelques temps, lassés de jouer, les poulains sont retournés vers leurs mères et "vu le grand cheval" a été boire un peu, se baigner un peu, puis s'est approché du grand groupe de chevaux.
Grand cheval l'attendait et alors qu'il s' approchait, "vu le grand cheval" avait l'impression de rentrer chez lui, dans un chez lui encore plus profond que ce qu'il connaissait habituellement. Grand cheval est debout et secoue sa crinière orange dans le soleil et dit: " Il y a longtemps que je t'attendais, depuis le jour où je t'ai appelé dans ton rêve, t'en souviens tu?"
"vu le grand cheval" ne peut plus parler tellement il est touché par la rencontre et il vient simplement poser son front sur le cou du cheval qui s'est penché.
Ces deux-là se reconnaissent immédiatement comme de vieux amis et ils se mettent à parler en même temps, chacun à sa façon, pour dire: "nous avons quelque chose à découvrir ensemble."
Le cheval s'est allongé et l'enfant s'est installé à ses côtés, adossé à ses flancs, bien confortablement et c'est comme si les deux s'étaient endormis.
Dans le rêve qui s'est tout de suite déployé, ils se sont envolés et ils avaient l'impression d'être portés l'un par l'autre, bien malin qui saurait lequel portait lequel, ils se sont envolés jusqu'au milieu du ciel. Leur vision réunie, unifiée, leur faisait voir le monde d'une manière nouvelle. C'était comme disposer tantôt d'un télescope, tantôt d'un microscope et voir le déploiement de la vie depuis un horizon complètement nouveau. Ils voyaient qu'aucune existence n'est séparée, ni vraiment inférieure, que tout participe à la vie. Ils voyaient l'univers tout entier comme un seul être vivant vibrant d'amour et de respect. Ils virent tout à coup le passé et l'intense lumière qui était à la racine de la vie et aussi bientôt, l'étendue des temps à venir. En un instant, des éons de temps pouvaient se dérouler.
C'est grand cheval qui a compris le premier, et il dit: "ainsi, l'existence est sans fin et nous passons au fil du temps dans tous les rôles pour bien comprendre finalement ce que nous sommes au fond."
Et "vu le grand cheval" de rebondir ainsi: "J'ai vu qu'un jour, dans très longtemps, c'est moi qui tiendrai le rôle du cheval et toi le rôle de l'enfant. Ce sera une époque ou les chevaux auront perdu leur couleur bleue, car le monde se sera un peu endormi. Pourtant, il restera un signe: à chaque fois qu'un enfant s'approchera d'un cheval, ce sera un peu moi, ce sera un peu toi et il y aura quelque chose de la vision que nous avons eue aujourd'hui. J'ai aussi entrevu un temps, dans longtemps, très longtemps, où de nouveau les chevaux seront bleus. Et de cela, je suis certain.